Sur les traces de Paul Etienne, soldat de la Grande guerre

En cette semaine de commémoration du centenaire de l’armistice de 1918, plongeons dans les archives familiales d’une de nos adhérents à la rencontre de Paul Etienne (1891-1914). Mort précocement au début de la 1ère Guerre mondiale, ce jeune homme de 22 ans a laissé peu de traces : quelques souvenirs indirects rapportés par ses descendants, des lettres et de trop rares mentions dans les archives officielles. Il n’en a pas fallu davantage pour aiguiser notre curiosité.

Un jeune ouvrier agricole

Imaginez-vous un jeune homme d’1m70 – la moyenne de son époque – les yeux bleus et les cheveux châtains. Paul est originaire de Rouceux, petit village vosgien situé entre Neufchâteau et Domrémy. Auprès de ses parents Jules et Camille, il a grandi entouré de ses cinq frères et sœurs, la vie d’abord rythmée par l’école, les jeux et les multiples tâches à remplir lorsque l’on vit dans une ferme. Alors que Georges, son frère aîné est poussé vers les emplois de bureau, Paul, adolescent, est resté chez ses parents pour les seconder dans la conduite de la ferme familiale.
Puis est arrivé l’âge de la conscription ou de l’appel sous les drapeaux.

Feuillet matricule de Paul Etienne établi lors de sa conscription @Archives départementales des Vosges

Affecté au 26ème régiment d’infanterie de Nancy en 1913 et 1914, il en suit les exercices sans enthousiasme . Il ne cherche pas l’avancement et reste simple soldat de rang, tout juste il se spécialise dans le corps des grenadiers. Mais le monde militaire a aussi des avantages dont celui d’une vaste communauté masculine au sein de laquelle Paul tisse des amitiés. Et puis, ça tombe bien car le train relie Nancy à Rouceux en seulement une heure, Paul peut donc profiter de ses permissions pour rentrer chez lui.

Son quotidien au service militaire

Et maintenant laissons la parole à Paul et à Marcel, son copain de régiment. Dans leur langage savoureux, ils évoquent avec vérité la vie des jeunes conscrits d’il y a 100 ans.

Lettre de Paul à ses parents @Famille Etienne

Lettre de Paul à ses parents, octobre 1913
« Chers tous,
Je ne peux pas aller à la Toussaint comme je l’espérais mais je tâcherai d’avoir 48 heures pour la fête [communale de la Saint-Martin], je préfère encore cela.
Vous m’enverrez par Fernand Durupt tout ce que j’ai encore besoin. 1° une chemise. 2° mon tricot. 3° des chaussettes aussi bien en coton qu’en laine. 4° une petite brosse à laver. 5° une petite boite pour mettre mon savon. 6° une boîte cirage. Il me faudrait aussi une blague à tabac […]. Et pour terminer une plaque de chocolat pour me caler l’estomac. C’est effroyable ce que je bouffe. J’ai encore plus la dent que chez nous. La nourriture est toujours assez bonne. Ont a du pain tant qu’on en veut et ont est pas trop malheureux. C’est surtout le soir qu’on rigole, il y en a toujours pour amuser les autres. […] Ont ne pionce jamais avant 10 heures du soir. Si ont a de bons moments, il y en a de mauvais aussi […] surtout la semaine dernière, ont ne sortaient pas une fois qu’il ne pleuve alors il fallait astiquer tout le fourniment pour le faire mouiller aussitôt après, si bien qu’il fallait toujours nettoyer. Mais ce qui m’emmerde le plus c’est d’aller faire le con tous les matins dans la cour, vivement que j’en sois débarrassé. […]
Je n’ai pas voulu suivre le peloton, d’après ce que j’ai vu, ce n’est pas le fricot. J’ai demandé à être cycliste du bataillon ou de la compagnie. Et comme il n’y a que moi, j’espère bien entrer en fonction une fois les classes terminées. C’est un chic filon que m’a conseillé mon caporal. Je serais exent d’exercice et de corvées et aussi de porter le sac. J’aurais la pause. Tous ceux qui peuvent avoir des petits filons comme ça, c’est ceux-là les plus tranquilles. Ont est plus libres qu’à l’exercice. Aussi je ferai ce que je pourrai pour y arriver.[…] Pour le moment c’est tout ce que j’ai à vous dire et je vous embrasse tous en attendant la fête. Paul»

 

 

 

 

Lettre de Marcel à Paul @Famille Etienne

Lettre de Marcel à Paul, 9 mai 1914 :
« Mon vieux Paul,
J’ai tout de même cru un instant que tu allais m’oublier mais non, aussi cela m’a fait beaucoup plaisir. Tu m’as mis un peu de baume dans l’âme car je suis sérieusement en rogne.
Tu as bien réussi dans ta perm car tu en loupes de belles. Cette semaine, trois fois au tir. Mercredi exercice de nuit, nous ne sommes rentrés qu’à minuit ce qui ne nous a pas empêché de nous lever à 5h. hier manœuvre de bataillon de 6h à 11h30 […]. Ce matin revue de mobilisation par le commandant, et lundi pour nous remettre nous allons à Bois l’Evêque pour exécuter nos tirs de guerre. Départ 5h, mais à quelle heure rentrerons nous, je ne sais. La compagnie est de garde aujourd’hui, tous les bleus classe 13 de la 9ème sont pris. Et la guigne a voulu encore que puisque je ne prenais pas la garde, je prenne la semaine à la place de Poignant. Je vais donc passer la journée de dimanche à la caserne. Et depuis quinze jours que je ne suis sorti ce n’est pas fait pour me rendre de bonne humeur. Je suis rongé par le cafard. Ah vivement le 25 7bre [25 septembre qui correspond sans doute à la fin du service militaire pour Paul et Marcel] que l’on fiche le camp. […]
Amuse-toi et régale-toi bien pendant les 3 jours qui te reste à passer là-bas. Le mauvais temps doit t’avoir empêcher de faire quelques bonnes promenades. As-tu réussi dans une bonne aventure amoureuse comme cela est assez commun chez toi ? […]
D’après ce que tu me dis le mariage de Madeleine est décidé [il s’agit de la sœur de Paul]. C’est malheureux, je n’ai pas encore pu l’oublier complètement. Il est vrai que je m’étais beaucoup attaché à elle mais le temps, grand maître de toute choses, produira son effet. Je l’aiderai d’ailleurs en forçant ma volonté et en cherchant ailleurs l’affection que je n’ai pas trouver chez elle.
Ne m’oublie pas auprès de ta famille. A bientôt mon cher Paul et cordiale poignée de main. Ton ami Marcel

 

A la lecture de ces lettres, on imagine des garçons un peu râleurs face à un monde militaire qui leur est imposé mais plein d’entrain parce qu’après tout la vie est belle quand on a 22 ans.

Et vous qu’en pensez-vous ?

Rendez-vous demain pour l’entrée en guerre de Paul…

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